Les belles histoires de Tonton Pierre

L’histoire des textes chrétiens, notamment les Evangiles, et celle de l’Eglise primitive sont totalement inconnues de la plupart des gens. Il est vrai qu’elles ne sont pas enseignées à l’école où, déjà, des pans entiers de notre histoire récente passent souvent à la trappe pour cause de fin d’année scolaire arrivant avant la fin des programmes (citons ainsi la Commune de Paris comme exemple le plus typique). Restent les seuls passionnés pour se pencher sur le sujet…

Avant de poursuivre, il est nécessaire de mentionner un avertissement : cet article est un texte de vulgarisation. Il n’a aucunement la prétention d’être complet et certains éléments sont volontairement simplifiés. La plupart des informations données font aujourd’hui consensus parmi les exégètes et les historiens, y compris officiels catholiques. Je m’efforcerai ici d’indiquer le niveau de certitude de chaque grande famille d’informations.

Tout commence par la prédication de Joshua Ben David en Palestine. La transcription de « Joshua » en grec est Iesos et en latin Jésus. Celui-ci est un juif de la tribu de David, tribu dont sont issus les Rois d’Israel. Cette prédication s’inscrit dans une histoire de plusieurs siècles et s’adresse à un public de culture juive. Comme il indique lui-même à plusieurs reprises, il se présente comme un réformateur, pas comme le créateur d’une nouvelle religion ex nihilo. L’époque est troublée : Israel est devenu un protectorat romain dont le monarque à peine juif a été choisi par l’occupant. La volonté d’une renaissance nationale juive se traduit par l’espérance messianique. Selon les écoles de pensées, le « Messie » (c’est à dire l’Oint de Dieu, celui que Dieu choisit, ou « Christ » en grec) est soit unique, soit double (le Messie Politique et le Messie Religieux).

Les Juifs, à l’époque, sont divisés en nombreuses tendances, souvent liées à des milieux sociaux. On citera ici les deux plus connues : les Pharisiens (ancêtres des juifs rabbiniques) et les Sadducéens. Mais il existe de nombreuses sectes plus ou moins mystiques, plus ou moins nationalistes : les Esséniens (qui vivent en communauté dans le désert, avec voeu de pauvreté), les Nazoréens (qui sont apparentés aux Esséniens), les Zélotes (nationalistes radicaux et intégristes religieux), etc. Les temps sont troublés et les prédicateurs sont nombreux à parcourir les routes avec des disciples. Joshua Ben David est l’un d’eux, comme celui que nous nommons Jean le Baptiste (parce qu’il pratiquait un rite de purification par l’eau), cousin du précédent selon la Tradition.

L’existence historique de ces personnages est indubitable car ils sont mentionnés dans des textes de l’époque qui leur sont hostiles ou se veulent historiques (comme les écrits de Flavius Josèphe).

Joshua Ben David est probablement né aux environs de -3 à -10 avant la date « officielle » de sa naissance, point de départ du calendrier chrétien. Sa date de naissance est en effet inconnue (le choix du 25 décembre pour la fête de Noël comme date symbolique mériterait un autre article) et le calcul fait au Moyen-Age s’est révélé faux. Sa prédication semble n’avoir duré que très peu de temps : trois ans selon l’Eglise qui s’appuie sur quelques indications dans les textes canoniques. Il est probablement apparenté aux mystiques du désert (il s’est d’ailleurs isolé dans le désert un certain temps selon les textes canoniques), d’où son surnom de « le Nazoréen », devenu à cause d’une mauvaise traduction « de Nazareth », ville où il n’a probablement jamais mis les pieds.

Il meurt à Jérusalem, supplicié par les Romains comme agent séditieux semant le trouble dans le pays, à la demande des responsables religieux locaux. Il n’a pas été lapidé comme hérétique.

Or la prédication de Jésus a été orale. Il n’a jamais rien écrit, du moins rien qui nous soit parvenu. Tous les textes « chrétiens » sont donc des oeuvres de disciples. Ce n’est pas là un cas unique dans l’histoire : un autre cas célèbre est celui de Socrate dont la pensée n’est connue que grâce à Platon. De la même façon, Siddhārtha Gautama dit Shakyamuni ou le Bouddha verra son enseignement transmis oralement pendant trois à quatre siècles avant d’être couché dans les textes du canon Pali.

La plupart des disciples directs de Jésus sont des illettrés (ou quasi-illettrés). Il y a cependant une exception : Matthieu, fonctionnaire du fisc local.

Au départ, les prédications de Jésus sont transmises essentiellement par le bouche à oreille, avec l’appui de petits morceaux de papier contenant des paroles fondamentales. Ces petits morceaux de papier qui circulent, sont recopiés, traduits, etc. se nomment des loggias.

Le nombre de disciples de Jésus grandissant, ceux-ci ressentent de besoin de collecter les loggias et d’en faire des recueils. Ainsi naissent les premiers évangiles (« bonne nouvelle » en grec, la bonne nouvelle en question étant la résurrection). Chaque communauté a le sien, en général attribué à un disciple plus ou moins direct de Jésus pour garantir le prestige du texte.

Les textes sont donc très nombreux, s’inspirant les uns les autres. Certains sont assez populaires, d’autres tombent dans l’oubli voire sont condamnés par la majorité des membres de l’Eglise (comme l’Evangile de Judas, texte d’une communauté chrétienne gnostique égyptienne). La diversité des textes est le reflet de la diversité des doctrines. Il n’y a pas grand chose de commun entre un catholique, un arien, un nestorien, un gnostique, etc. sauf que tous se réclament de Joshua Ben David ! Les différentes communautés se constituent autour de telle ou telle doctrine.

Certains évangiles seront écartés par la hiérarchie de l’Eglise parce que marqués par telle ou telle hérésie. Le canon officiel est fixé tardivement et ne reconnait que quatre textes comme des évangiles canoniques. Les autres deviennent apocryphes (c’est à dire cachés, que l’on ne doit pas montrer, sans être nécessairement condamnés).

Certains textes apocryphes servent cependant la superstition populaire sans que l’Eglise ne prenne trop position à leur égard. C’est par exemple le cas du fameux Transitus Mariae qui est pourtant à l’origine du dogme de l’Assomption, proclamé seulement en 1950 ! Avant 1950, il était donc possible d’être catholique sans croire dans la montée au ciel corps et âme de Marie… Et c’était même plutôt recommandé.

Parmi les évangiles apocryphes, certains tiennent réellement du conte pour enfants : on y voit Jésus enfant en train de punir de mauvais professeurs qui l’ont disputé, faire des miracles qui tiennent plus du tour de magie qu’autre chose, etc.

D’autres évangiles apocryphes sont des textes de doctrine sans aucun élément de récit. C’est notamment le cas de l’Evangile de Philippe ou de l’Evangile de Thomas.

Le canon catholique est fixé pour répondre à une demande de l’Empereur Constantin, soucieux de l’unité religieuse de l’Empire. Et, au moment où cela est fait, l’Eglise judéo-chrétienne a été massacrée et dispersée en même temps que les Juifs de Palestine suite aux révoltes de 70 et 130. Les Eglises en présence sont donc issues essentiellement de la prédication de Paul de Tarse, qui n’a jamais rencontré Jésus, sauf au cours d’une vision (un médecin dirait une insolation) sur la route de Damas.

D’où proviennent les quatre évangiles canoniques ?

La meilleure réponse est : on ne sait pas trop. Ils se sont construits comme les autres par accumulation de loggias mais aussi en intégrant des récits, au contraire des Evangiles comme celles de Thomas ou Philippe qui sont juste des recueils de loggias.

Les quatre évangiles canoniques se répartissent en trois évangiles synoptiques (Mathieu, Marc, Luc), construits sur un plan globalement similaire (d’où leur surnom de « synoptiques », qui peuvent être lus en parallèle) et en un groupe à l’effectif d’un, l’Evangile de « Jean ».

Commençons par les trois synoptiques : le consensus est assez général à leur sujet. Le premier texte est appelé « Proto-Marc ». Marc était le secrétaire de Pierre. Son travail peut donc être qualifié de « mémoires de Pierre », Pierre étant le fameux Simon appelé Pierre par Jésus pour être la pierre sur laquelle se bâtirait son Eglise. Sur ce Proto-Marc vont se construire d’une part l’Evangile de Mathieu, d’autre part l’Evangile de Luc. Marc va ensuite s’inspirer de ces deux textes pour revoir le sien et écrire ce que nous nommons aujourd’hui évangile de Marc. Le texte de Mathieu a visiblement été retouché tardivement pour ajouter une partie originale concernant l’enfance de Jésus (avec le mythe de Noël). Cette partie n’a pas d’équivalent dans les deux autres synoptiques.

Notons que Mathieu et Marc s’adressent essentiellement à des Juifs mais que Luc s’adresse lui à des Hellènes et qu’il écrit en grec. Luc est un « reporter » : il a collecté des témoignages et les a mis en forme à l’attention d’un de ses proches à qui il adresse son texte.

L’évangile de « Jean » est plus tardif : si les synoptiques datent grosso-modo de 20 à 30 ans après la mort de Jésus, le quatrième date de plus de 40 ans après cette mort, vers 70-80. Son origine est source de nombreuses controverses.

Officiellement, Jean est le « disciple que Jésus aimait », qui n’est pourtant jamais nommé dans le texte. Pour certains exégètes, l’auteur du quatrième évangile est Marie-Madeleine, compagne de Jésus, qui se serait exilée et aurait confié ses mémoires à un scribe (comme Pierre avec Marc). Jean, le scribe en question, serait un juif hellénisé, et donc certainement pas le juif jeune et riche dont parle le texte et chez qui se déroule la Cène (cet évangile est précis sur le plan de table : Jésus est la place d’honneur, en bout de table, et « Jean » est à sa droite, donc le propriétaire des lieux). Il est probable que le scribe Jean soit un juif hellénisé de l’Eglise d’Ephèse ayant collecté les sources (peut-être les mémoires de Marie-Madeleine) et écrit cet évangile. Faute de nom pour l’inspirateur principal, le texte a pris le nom du scribe… auteur par ailleurs d’une apocalypse alors qu’il était exilé à Patmos (texte aujourd’hui nommé à tort l’Apocalypse comme s’il n’en existait qu’une seule alors qu’il s’agit d’un genre littéraire, une seule ayant été intégrée au canon officiel chrétien). L’introduction de l’Evangile de Jean autour du concept de Verbe créateur est d’ailleurs la marque d’une communauté hellénisée en rupture avec l’orthodoxie de Jérusalem. De ce fait, Jean l’Evangéliste n’aurait donc pas connu Jésus et ne serait pas « le disciple que Jésus aimait ». Le fait que le texte débute par la prédication de Jean Le Baptiste a aussi probablement joué un rôle pour nommer le texte, le nom de « Jean » pour le scribe est donc lui aussi incertain.

Tout cela pour dire que ces textes canoniques ou apocryphes ont donc bien une histoire, essentiellement peu connue du grand public et d’ailleurs assez incertaine.

Article publié initialement le 23 septembre 2008 dans le webzine Le Cogiteur et légèrement retouché.

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