Carcer et autres libérationsCette nouvelle complète le recueil « Carcer et autres libérations » dont le thème général est l’enfermement.

Un destin ordinaire

Carole 751312-1 marchait en rond avec une profonde excitation entre les parois métalliques de sa cellule carrée. Trois mètres de côtés, c’est certes un peu moins de deux mètres de diamètre pour tourner, à cause de la console, du coin toilette et du lit. Mais c’est suffisant pour passer ses nerfs. Depuis qu’elle avait quitté sa mère, Carole 713589-1, et cessé d’être Carole 713589-2 pour obtenir sa propre cellule et donc un numéro se terminant par 1, elle savait que son destin la mènerait un jour ou l’autre à faire le nécessaire pour qu’elle accueille dans sa cellule des enfants dont les numéros seraient « -2 » puis « -3 ». Si l’un de ses enfants est une fille, celle-ci s’appellerait Carole comme sa mère, sinon ce serait Charles. Aucun mystère. Tout est prévu.
Elle avait reçu le matin même, sur sa console, le message qu’elle attendait depuis longtemps. Au point qu’elle avait désormais du mal à se concentrer sur son travail de pilotage de l’arrosage et du drainage dans des serres d’agriculture hydroponique. Il y avait eu plusieurs alertes. La Surveillance Générale avait donc opté pour la répartition exceptionnelle de ses tâches entre d’autres détenues dès le midi, sans attendre sa mise à disposition.
Elle jetait sans cesse des regards impatients à la porte d’acier, la seule issue de sa cellule, tout en tournant. La lumière centrale, au plafond, animait une ombre très agitée sur les parois.
L’évadée involontaire

Cela faisait cinq ans qu’elle était entrée dans sa cellule. Carole appréhendait très logiquement de sortir vers l’inconnu. Bien sûr, comme toute enfant détenue, elle avait suivi, durant des années, les cours sur la console parmi lesquels il y avait des « leçons de comportement sexuel ». Mais les mots restaient des mots.
C’était comme l’expression « Sanction Administrative ». Comme tout le monde, elle assistait sur sa console, sans qu’elle puisse passer à une autre tâche, aux punitions des détenus ayant commis des fautes. Mais la douleur des punis restait théorique tant qu’elle n’aurait pas senti dans sa chair les effets des supplices infligés.
Cependant, contrairement au sexe, Carole ne souhaitait pas particulièrement mettre une réalité en face du concept de sanction administrative.
La Surveillance Générale lui avait fait parvenir un rappel du règlement concernant les transferts de détenus et autres sorties de cellules. Il comportait l’article sur la sanction administrative au cas où Carole voudrait commettre ce qui constitue pratiquement le pire des crimes : l’évasion. Et la sanction était simple : la mise à mort.
Il était inutile de lui rappeler ses devoirs de détenue. Elle les connaissait.
Par contre, Carole se posait la question de savoir si elle connaîtrait le sexe en compagnie d’un gardien ou bien d’un détenu mâle. Les deux semblaient possibles.
Il est vrai que rien ne semblait vraiment distinguer les gardiens des détenus mâles, en dehors de la couleur de leur uniforme : rouge pour les détenus, noir pour les gardiens.

Enfin, elle entendit la porte s’ouvrir alors qu’elle lui tournait le dos dans le cadre de sa rotation. Elle s’immobilisa et se retourna aussitôt.
Le gardien s’avança vers elle en annonçant ce qu’il allait faire, comme le voulait le Règlement.
« Détenue Carole 751312-1, je vais procéder à votre transfert vers une chambre de comportement sexuel en vue de votre initiation. Vous serez amenée dans cette chambre pour y connaître des rapports sexuels autant de fois que nécessaire pour que vous soyez enceinte. Etant donné que vous êtes en période fertile, votre séjour hors de votre cellule ne devrait pas dépasser une semaine. »
Le coeur de Carole battait la chamade. Elle tendit les poignets pour que le garde puisse la menotter puis elle écarta les jambes et il lui installa les anneaux aux chevilles. Ceux-ci étaient reliés entre eux par une chaîne et une autre chaîne reliait les menottes à la chaîne des pieds. Cette chaîne transverse se poursuivait au delà en une longue laisse que tenait le gardien.
« Détenue Carole 751312-1, veuillez me suivre. »
Le gardien se mit à marcher vers l’extérieur de la cellule, tirant Carole derrière lui. La détenue n’avait pas l’habitude de marcher avec des chaînes et cela la gênait un peu mais elle faisait de son mieux pour avancer.
Dès qu’ils furent dans le couloir, le gardien ferma la porte de la cellule puis il emmena Carole.

Carole et le gardien suivirent plusieurs corridors, tous identiques. Les parois d’acier ressemblaient à celles des cellules et des portes étaient disposées régulièrement pour accéder à celles-ci. Il y avait des lumières à peu près au niveau de chaque porte.

A un moment donné, un autre gardien arriva en face mais, alors qu’il était à environ cinq mètres, le gardien qui accompagnait Carole saisit son pistolet laser sur sa hanche. L’autre en face fut plus rapide. La tête du gardien qui accompagnait Carole explosa.
La détenue resta interdite, sa laisse ballante sur le sol, en train de regarder le cadavre de son accompagnateur privé de sa tête et baignant dans une mare de sang.

Le gardien qui avait tiré s’approcha en courant. Il saisit la clé qui traînait au milieu du sang et entreprit de retirer ses chaînes à Carole.
« Mais… mais… le règlement spécifie que les détenus doivent être enchaînés lors des transferts… » se plaignit Carole tout en se massant les poignets.
Le gardien sourit. Puis il regarda la plaque d’identification portée par la détenue.
« Carole  751312-1 ? »
« Oui ? »
« Tu es maintenant une évadée comme moi. Pour que tu restes discrètes, tu vas revêtir l’uniforme de ce garde. Ne t’inquiète pas pour le sang : leurs uniformes de l’absorbent pas. »
Carole porta ses mains à son visage, se mettant à pleurer. Evadée. Elle était une évadée. Mais elle n’avait rien fait. Rien du tout. Que dire ? Que faire ? Se rendre, c’était subir la Sanction Administrative de mort. Sans doute pire, d’ailleurs, pour avoir osé tuer un gardien, une chose tellement incroyable qu’elle ne savait pas comment cela était puni.
Le faux gardien avait entrepris de déshabiller le cadavre. Il n’avait pas menti : l’uniforme semblait propre et sec. Il lui tendit.
« On va faire vite. Pour l’instant, mets le par dessus le tien. Ah. Zut. J’oubliais… »
Il posa l’uniforme par terre et entreprit de consciencieusement le piétiner avant de le redonner à Carole.
« J’avais oublié de détruire le transpondeur. Maintenant, mets le. »
Carole obéit. Le pistolet était lourd sur sa hanche.

Il faisait chaud sous deux uniformes l’un par dessus l’autre. Mais elle suivait le faux gardien sans poser trop de question, veillant simplement à toujours rester à la distance réglementaire. Peut-être, si elle se comportait bien, respectant parfaitement le Règlement avec ce faux gardien, la Surveillance Générale lui accorderait une diminution de peine. Peut-être juste la mort.
« Ne me suis pas comme un détenu soumis ! » s’emporta soudain le faux gardien.
« Mais je ne dois pas vous suivre ? »
« Tu peux me suivre si tu veux, mais dans ce cas, mets toi à côté de moi : le couloir est assez large. Et ça nous permettra de parler. »
Carole hésita un instant puis obéit.
« Où allais-tu, Carole ? »
« Je devais enfin connaître le sexe » dit-elle avec un lourd regret dans la voix.
« S’il n’y a que ça pour te faire plaisir, je peux avoir une relation sexuelle avec toi. »
« Ah bon ? C’est vrai ? » s’exclama Carole, un peu comme lorsqu’un enfant reçoit la promesse d’une friandise.
« Mais calme toi d’abord. Je n’avais pas prévu de te libérer. J’ai eu la malchance de tomber sur vous deux par pur hasard. Quand il a constaté que j’étais un faux gardien, sans transpondeur qui permet ma localisation et émet un signal d’identification en présence d’un autre transpondeur, il a bien fallu que je le tue. Mais, d’abord, il faut manger… »
« Est-ce que les gardiens vont nous amener tout de même à manger alors qu’on en a tué un ? »
Le faux gardien éclata de rire.
« Non, Carole. Maintenant, il faudra te débrouiller pour trouver à manger. Et ça veut dire piller les serres d’hydroponiques. Après, pour dormir, il faut se cacher. Nous rencontrerons sans doute des copains ici ou là. Je te présenterai quand ce sera le cas. »

Les fugitifs

Carole mit un certain temps à s’habituer à sa nouvelle vie. Elle préférait rester autant que possible avec celui qui l’avait fait s’évader. Il s’appelait Julien et mit du temps à avouer qu’auparavant son nom comportait le matricule 658945-1. Il refusait que Carole le mentionne. Et Carole ne voulait pas qu’il soit de mauvaise humeur : il ne lui donnait du sexe que quand il était heureux. Et, depuis qu’elle avait découvert en quoi consistait le sexe, Carole avait aussi découvert qu’elle aimait beaucoup ça.

Les évadés préféraient s’appeler entre eux les Fugitifs. C’est vrai que cela évitait de se rappeler sans cesse qu’ils méritaient tous la Sanction Administrative de Mort : le mot de « fugitif » n’apparaissait nulle part dans le Règlement. Tandis que celui d’évadé…
Il arrivait de temps en temps que des fugitifs soient attrapés par des gardiens. Ils redevenaient alors des évadés. Carole avait déjà assisté à l’application de la  Sanction Administrative de Mort sur sa console et elle ne tenait pas à connaître ce sort.
Elle prenait même goût à ce que Julien appelait la liberté.

Un soir qu’une bande de fugitifs venait de terminer un pillage, ils se rassemblèrent tous en cercle pour manger. Carole demanda si elle pouvait poser une question qui la perturbait depuis toute petite. Et jamais la console n’avait pu lui répondre. Chacun acquiesça avec un air d’évidence.
Carole hésita sur ses mots quelques secondes. Devant l’impatience qui commença à se manifester, elle se lança.
« Eh bien voilà. Partout où nous allons, nous sommes toujours dans des couloirs identiques qui comportent des milliers de cellules et quelques grandes serres d’hydroponiques dont les parois sont semblables. Mais qu’y a-t-il derrière les parois ? Existe-t-il un endroit où il n’y a pas de couloir, de cellule et de serre ? »
Certains sourirent. L’un dit : « bah, le monde est ainsi. C’est tout. »
Julien prit alors la parole.
« L’endroit que tu décris s’appelle la Terre. Nous ne savons pas bien ce que c’est, ni comment on y va mais… »
Un fugitif âgé l’interrompit. « Bah, c’est une légende, un mythe, une sorte de superstition des gardiens. Ou peut-être un mensonge qu’ils ont ordre de raconter lorsqu’on les capture. La Terre n’existe pas. »
Mais Julien ne se laissa pas faire. « Moi, je crois que la Terre existe. On dit que le plafond est bleu et qu’il est si haut qu’on ne peut pas le toucher, même en montant sur un lit. »
« Et comment y vas-tu, sur cette Terre ? » renchérit l’impudent.
« Je ne sais pas. »
« Moi, je vais te dire ce qui est arrivé à ceux qui croyaient dans la Terre. C’était il y a longtemps. J’étais jeune à l’époque : je venais juste de m’évader. Ils ont entrepris de creuser un trou dans un plafond avec des pistolets laser. Ils ont percé longtemps. Derrière l’acier, il y a une autre paroi dans une substance un peu moins dure, très irrégulière, et qui tombe en poussière quand on tire dedans. Moi, je m’étais éloigné, apeuré par le sacrilège qu’ils commettaient. C’est ce qui m’a sauvé. Tout d’un coup, celui qui tirait a été aspiré dans le trou. Il y a eu un grand vent dans le couloir qui se dirigeait vers le trou, comme s’il voulait avaler tout l’air. Plusieurs fugitifs furent aspirés. Puis il y eut des portes d’acier qui se mirent en place automatiquement à quelques mètres de part et d’autre du trou. Je vous emmènerai voir tout à l’heure si vous voulez : ce n’est pas très loin. Les portes d’acier sont toujours là, bouchant le couloir. On en peut accéder à l’autre côté qu’en faisant un grand tour. Et la section où il y a le trou reste isolée. On ne sait pas ce qu’il y a au delà du trou mais si ta Terre peut manger des fugitifs comme cela, je n’en veux pas ! »
Après ce récit épouvantable, chacun mangea en silence.

L’évènement

Carole s’était évadée depuis plusieurs mois maintenant et elle se demandait quand elle serait enceinte. Julien riait toujours quand elle posait cette question, lui rappelant qu’il faisait ce qu’il fallait pour que cela n’arrive pas, un vieux truc de détenus mâles pour garder les détenues femelles plus longtemps avec eux. Il suffisait de cesser le rapport sexuel quelques instants pour que le mâle se vide à l’extérieur de la femelle. Une fois que cela était fait, il reprenait l’action durant les secondes de sursis avant qu’il ne puisse plus.
Mais il vint un moment où tous les fugitifs pensèrent à des choses bien plus sérieuses. Carole craignait que Julien oublie de lui donner du sexe.
Les gardiens étaient très nerveux. Quelque chose était arrivé, quelque chose d’inattendu.
Les fugitifs pensèrent qu’une évasion massive avait eu lieu, puis qu’une serre s’était effondrée… Il est vrai qu’une zone auprès d’une grande serre vide et sans culture était désormais inaccessible tant il y avait en permanence des gardiens alors que, auparavant, cette serre sans usage et maintenue sans lumière était au contraire une cachette parfaite.

Enfin, Julien réussit à capturer un gardien qui accepta sans difficulté de parler tant il était perturbé.
Des hommes de la Terre étaient revenus. La grande serre vide était en fait un ancien local où leur moyen de transport arrivait.
Et, désormais, la grande serre vide retrouvait son usage premier. Les hommes de la Terre venait tous les mois, restaient deux ou trois jours et repartaient. A chaque voyage, ils posaient des questions, les gardiens répondaient, puis les hommes de la Terre donnaient des réponses aux interrogations des gardiens. Le gardien capturé ne savait pas trop ce qui se disait : c’était un domaine réservé à la Surveillance Générale.
Julien décida de tuer le gardien une fois qu’il eut fini de parler, y compris devant plusieurs autres fugitifs : c’était plus prudent. On détruisit son transpondeur et on récupéra son uniforme.

Comme Carole le craignait, Julien ne pensait plus à lui donner du sexe. Il marmonnait sans cesse et était préoccupé. Il voulait voir les hommes de la Terre. Il voulait voir la Terre.

Le départ

Un jour, en observant de loin toute l’agitation qu’il y avait autour de la serre vide, Julien et Carole virent un homme qui n’était ni un gardien ni un détenu. Il était un peu plus petit qu’un homme ordinaire et ne portait pas l’un des deux uniformes mais un vêtement étrange. Il était accompagné de plusieurs gardiens de la Surveillance Générale, ceux qui portaient une bande bleue le long de leur pantalon d’uniforme noir.
Des hommes de la Terre étaient là, et cet homme là était l’un des leurs. Julien en était certain. Et il voulait tenter sa chance pour entrer dans la serre et voir les hommes de la Terre. Même s’il devait risquer de redevenir un évadé et de se voir appliquée la Sanction Administrative de Mort.
Carole ne voulait pas le laisser y aller seul. Comme il n’y avait pas de gardienne, Julien lui coupa les cheveux et lui banda les seins pour qu’ils s’aplatissent.
Puis il tua deux gardiens mais ne détruisit pas les transpondeurs de leurs uniformes. Carole et lui s’approchèrent donc de la serre sans être repérés, leurs transpondeurs réagissant à l’approche des autres. I suffisait de passer rapidement en saluant. Les gardiens étaient trop préoccupés pour remarquer un comportement suspect. En fait, tous avaient des réactions bizarres en ce moment.

Un gardien de la Surveillance Générale leur barra la dernière porte avant la serre. Il n’eut pas le temps de leur dire d’aller voir ailleurs. Julien le tua avant.
Les gardiens plus loin comprirent alors qu’ils s’étaient fait abuser et se précipitèrent pour tuer l’évadé. Les tirs lasers fusaient mais c’était trop tard : Julien et Carole étaient dans la serre qu’ils connaissaient si bien.

Sauf que la serre était désormais éclairée. Et au centre, il y avait quelque chose que ni Julien ni Carole n’identifièrent. Il réussirent à en faire la moitié du tour avant d’être repérés par les gardiens qui les pourchassaient.
Il y avait une porte ouverte dans la chose.
« Entre, je les retiens » murmura Julien.
Carole lui obéit. Il se retourna et tira sur leurs poursuivants.

Alors qu’elle se dissimulait dans l’objet, derrière des caisses, elle vit la tête de Julien exploser sur le seuil. Le cadavre s’effondra en dehors de l’objet.
Carole se mordit la main pour s’empêcher de crier. Quelques secondes plus tard, la porte de l’objet se refermait.
Carole ne comprit pas ce qui se passait. C’était comme si des caisses étaient tombées sur elle et l’écrasaient. Mais elle était pourtant simplement allongée sur le sol. Puis elle s’évanouit.

Le plafond bleu

Quand Carole se réveilla, elle était allongée sur le dos dans un lit très mou et son corps entièrement nu était recouvert d’un tissu blanc jusqu’au niveau de ses épaules.
Elle ne parvenait à respirer ou même à bouger le moindre muscle qu’au pris d’un gros effort.
La pièce était blanche, un peu plus grande qu’une cellule. Carole pensa que c’était une cellule de la Terre et qu’on était en train de lui appliquer un supplice quelconque pour la punir, d’où ses douleurs. Mais elle ne comprenait pas ce qu’on lui faisait. Surtout qu’elle était seule.
A côté d’elle, une sorte de console était reliée à son bras par des câbles. Ce devait être l’instrument de torture. Il fallait qu’elle accepte le châtiment qu’elle méritait. Même si elle aurait voulu redevenir une fugitive, continuer de vivre.

Au bout de quelques instants, un homme habillé en blanc entra dans la cellule. Il sourit à Carole en marchant vers elle.
« Bonjour, Carole » dit-il.
« Bon-jour » articula avec difficulté Carole.
« Avez-vous déjà entendu parler de la Terre, Carole ? »
« Oui » murmura-t-elle.
« C’est là où vous êtes. »
« Et mes douleurs sont le châtiment pour m’être évadée ? »
« Non : c’est l’effet de la gravité. Sur Terre, la gravité est beaucoup plus forte que dans votre prison spatiale. »
« Ma quoi ? »
« L’endroit d’où vous venez. »
Il sourit. Carole garda le silence, tentant de comprendre quelque chose. Alors, il reprit.
« Je ne sais pas si les psychologues seront d’accord pour que je vous parle de tout cela maintenant mais, puisque j’ai commencé… »
Nouvelle pause. Carole porta sur l’homme un regard interrogateur.
« Il y a environ cinq siècles, l’humanité construisit une prison sur un planètoïde qui croisait dans notre système solaire. Les détenus ne pouvaient pas s’évader de là-bas parce qu’il n’y avait aucun moyen permanent sur place pour revenir sur Terre. Mais il y eut ensuite une période de chaos sur notre planète. On oublia votre prison. Et la Surveillance Générale fit ce qu’il fallait pour assurer votre survie en perpétuant votre population et en choisissant des gardiens parmi des enfants de détenus morts. Les meilleurs étaient ensuite sélectionnés pour devenir membres de la Surveillance Générale. Ils apprenaient alors la vérité de l’histoire de leur endroit. Nous vous avons retrouvés par hasard, en consultant un vieux stock d’archives oubliées. »
Carole ne comprenait pas grand’chose. Elle resta silencieuse. L’homme continua de sourire puis reprit.
« En fait, les gardiens exigent votre retour pour qu’ils puissent vous punir. Je crois qu’ils veulent vous tuer. Nous hésitons à vous renvoyer là-bas. Nous essayons de les convaincre de ne pas vous punir si on vous ramène. Mais, d’un autre côté, vous risquez la mort ici aussi. Vous n’êtes pas habituée à notre gravité et je ne sais pas si nous pourrons vous garder longtemps en vie. Mais maintenant, essayez de dormir. Je reviendrai plus tard. »
L’homme sourit une dernière fois, salua et sortit.

Carole ne voulait pas être tuée. Si elle devait mourir entre les mains des hommes de la Terre, soit de leur propre fait, soit parce qu’ils la ramèneraient pour la livrer aux gardiens, elle préférait redevenir une fugitive, même ici sur Terre.
Elle arracha les fils qui la reliaient à la console, sur le côté. L’effet de la gravité continua de se faire sentir. Carole pensa que c’était quelque chose qui persistait un peu au delà du moment où on cessait de l’administrer. La gravité était vraiment une punition très douloureuse et handicapante.

Elle retira le tissu qui couvrait son corps. Elle regarda autour d’elle et ne vit nulle part son uniforme ou même un autre vêtement.
Carole eut du mal à s’asseoir dans le lit. La tête lui tournait. Quand elle tenta de marcher, elle s’effondra sur le sol. Alors, en attendant que les effets de la gravité ne se dissipent, Carole décida de ramper.
La porte de la cellule n’était pas fermée.

Comme Carole rampait, personne ne la remarquait dans les bureaux qu’elle parcourut : elle était toujours en dessous du niveau des vitres perçant les cloisons.
Il y eut une porte plus grosse que les autres. Puis le couloir devint brutalement très large : Carole n’en voyait pas les bords.
Quand elle regarda le plafond, elle vit qu’il était très haut et que, comme disait Julien, il était bleu. Carole sourit tout en pleurant. « Ah, si tu étais là avec moi, tu saurais que tu avais raison ! »

Le sol où elle arriva était étrange : mou, facile à fragmenter et doté de milliers de petits fils verts très doux qui jaillissaient mais dont l’odeur était étrange.
Carole poussa un cri étouffé. Elle ne pouvait plus avancer. La douleur dans sa poitrine était atroce et, surtout, ses doigts semblaient en mille morceaux tandis que ses jambes ne répondaient plus mais devenaient le siège d’une autre douleur atroce.

Quand on retrouva Carole, sa cage thoracique effondrée avait expiré son dernier souffle d’air de la Terre.