Coup de gueule

Alors je vais être très clair : les gens qui défendent la location bec et ongles en lieu et place de l’achat immobilier m’énervent autant que les défenseurs dogmatiques de l’OpEx contre le CapEx en entreprise. Et je vous assure que ce n’est pas peu dire.

Dans ce coup de gueule, je vous propose de balayer les arguments des cigales et de défendre les fourmis. Nous allons, en quelques minutes, défendre l’investissement contre la dépense perdue. C’est un sujet que je n’aborde jamais dans mes romans, que vous découvrez sur PierreBehel.com. C’est un tort. Un jour, sans doute…

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Mais revenons au thème du jour : OpEx vs Capex, location vs achat immobiliers. En effet, ce sont toujours les mêmes bêtises que l’on voit dans les deux cas. On va commencer par parler de l’achat immobilier avant de se pencher sur le cas OpEx vs CapEx.

L’immobilier est un investissement utile non-spéculatif

Le raisonnement des anti-achats part sur trois biais fondamentaux.

Le biais de base : le raisonnement anti-achat ignore ce qui arrive à la fin de la période étudiée. Dans un cas, la location, tout l’argent dépensé est perdu. Dans l’autre, l’achat, le patrimoine est gardé. Etre propriétaire de son logement au moment de sa retraite est vital : les revenus baissent d’environ 50%. Payer encore un loyer à ce moment là peut être problématique… Même si le marché immobilier s’effondre après un achat, il reste un bien utile. Même si sa valeur est réduite de 99%, il reste 1%. Ce sera toujours plus que le 0% de la location. Le coût net de l’achat sera l’éventuelle perte de valeur du bien et les intérêts bancaires : le loyer sera toujours plus élevé.

Deuxième biais : les frais. Alors, oui, il y a des travaux, des impôts, des charges diverses… Et le propriétaire est tellement altruiste qu’il prend tout à sa charge. C’est évidemment stupide. Comme tout prestataire de service, le propriétaire refacture dans le loyer tous ces frais, avec une marge.

Troisième biais : considérer l’immobilier uniquement comme un investissement financier. Le logement principal est avant tout l’endroit où l’on vit. Et disposer d’un logement est nécessaire. Donc le choix est de payer un loyer ou de payer un crédit, pas de ne rien payer et on retourne alors au biais 1. Par contre, l’investissement immobilier n’est pas très rémunérateur si le but est de louer à d’autres et d’en tirer un revenu. Pas très rémunérateur mais pas très risqué. Si on est riche, l’immobilier rentre dans un panel d’investissements, certains étant risqués et rémunérateurs (spéculations diverses), d’autres moins (immobilier).

Enfin, sans qu’il s’agisse à proprement parler d’un biais, il y a la question de la maîtrise. Posséder, c’est maîtriser. Le droit de propriété se décompose en trois droits : l’usus, le fructus et l’abusus. Le locataire paye pour l’usus (le droit d’usage) mais il n’a pas le droit de modifier ou de détruire le bien (abusus, par exemple pour déplacer une cloison ou installer une cuisine aménagée) ni même d’en tirer profit (fructus).

Sur ce dernier point, rappelons que les jurisprudences se multiplient contre les locataires qui sous-louent en AirBnB : obligation de reverser la totalité des sommes gagnées, dédommagements et surtout rupture du bail immédiate. La rupture du bail est aussi une menace contre les locataires. Le propriétaire veut vendre ou loger sa famille ? Il rompt le bail. Et le locataire n’a rien à dire : il doit déménager (avec les frais afférents).

OpEx vs CapEx : la mauvaise gestion se cache derrière les sigles

Passons maintenant à l’OpEx vs Capex. Ce qui suit est dérivé d’un article que j’ai rédigé en 2012, c’est dire à quel point le sujet ne vieillit pas.

Il existe une mode chez les directeurs financiers et les directeurs généraux comme chez les gestionnaires de fonds de placement faisant la pluie et le beau temps en bourse. Cette mode consiste à dénigrer l’investissement au profit de solutions de financement de type locatives. Par exemple, plutôt que d’acheter des locaux, il faudra les louer à des entreprises spécialisées. L’effet comptable est de migrer des sommes d’une consommation de capital (CapEx) vers une consommation de charges d’exploitation inscrites au résultat (OpEx). Dans la majorité des cas, c’est idiot. C’est la marque des modes.

Louer plutôt que d’acheter peut cependant se comprendre dans certains cas et commençons par ceux-là.

La location sert ainsi à une certaine flexibilité sur la consommation d’un bien durable par nature mais dont l’usage réel par l’entreprise peut varier dans le temps. Le cas de l’immobilier est typique. L’entreprise peut avoir besoin de plus de place ou de moins de place, de changer de lieu, etc. Mais ces cas sont très limités.

Ajoutons que dès lors que l’on loue, cela implique que le loyer intègre non seulement l’amortissement du bien, le coût du financement de ce bien (intérêts sur prêts bancaires…) mais aussi le coût de gestion de la location et la marge du gestionnaire. Une location coûte donc toujours plus qu’un achat financé par un prêt bancaire normal ou qu’un achat payé sur fonds propres dans des conditions similaires.

Bien sûr, vous allez me dire que la faiblesse de ma condamnation est dans ces quelques mots : « dans des conditions similaires ». Le gestionnaire peut être meilleur que l’entreprise louant le bien car spécialiste du secteur. Les cas où cela est vrai révèlent simplement que l’entreprise est mal gérée. Cependant, cela peut être vrai lorsque le bailleur peut mutualiser des services. Typiquement, construire un datacenter redondé avec de multiples sécurités coûte cher tant à la construction qu’à l’entretien et ce n’est pas la quantité de serveurs que l’on met dedans qui change grand chose. Donc plus on mutualise l’endroit, moins il coûte cher à chaque utilisateur. Mon site web PierreBehel.com est hébergé sur un serveur loué chez un prestataire spécialisé pour quelques euros par an parce que je ne me vois pas embaucher un ingénieur de production, construire un datacenter, etc. et tout ça pour ce seul petit site web.

Le transfert de risque peut également être une justification au surcoût assumé. « Je ne veux pas être responsable de gérer ce machin auquel je ne comprends rien ou qui peut me péter à la figure à tout moment ». Mais est-ce bien raisonnable d’utiliser un tel machin sauf à titre de test avant de décider (ou non) d’investir dans le dit machin ?

Trois cas, donc, justifient la démarche de location au lieu de l’investissement : la flexibilité de consommation de biens durables par nature, la mutualisation et l’absence de risque.

Dans tous les autres cas, les inconvénients sont largement supérieurs dès lors que l’on réagit en entrepreneur et pas en comptable borné et intellectuellement limité.

Le premier inconvénient, nous l’avons vu, c’est le coût. Le deuxième est l’absence de propriété. Quand on parle d’investissements stratégiques, ne pas être propriétaire est un peu gênant tout de même. Une entreprise peut ainsi se retrouver privée d’outils nécessaires à son fonctionnement parce que son prestataire sera défaillant, pas forcément sur le plan technique mais, éventuellement, sur le plan financier. Vous utilisez une machine louée. Votre bailleur fait faillite. La machine est saisie et tant pis pour vous. L’absence de propriété, c’est aussi l’absence de maîtrise. Vous ne pouvez pas faire ce que vous voulez de quelque chose qui ne vous appartient pas.
Bien entendu, absence de propriété implique absence de prise en compte de la variation de valeur du bien. Par exemple, si le travail effectué aboutit à donner de la valeur à un bien (par exemple la valeur du fonds d’un local de restauration), ce gain de valeur n’apparaîtra pas au bilan de l’entreprise. En effet, le gain de valeur suit le bien dans le bilan du bailleur.

Alors pourquoi diable cette mode de l’OpEx existe-t-elle ? Suis-je un génie et tous les autres des crétins ? Non, malheureusement. Je voudrais bien mais ce n’est pas le cas. La véritable raison (et certains DAF me l’ont avoué) relève de la communication. Rien de plus.

En effet, quand on investit une certaine somme pour acquérir ou développer un bien durable, les sommes sont inscrites au bilan dans un compte approprié en totalité. Mais, chaque année, le résultat sera réduit d’une fraction de ce coût, correspondant théoriquement à la baisse de valeur du bien acquis du fait de son usure ou de son obsolescence, ce que l’on nomme les amortissements.

Bien entendu, les charges d’entretien et de gestion apparaissent également dans le résultat. A l’inverse, lorsque l’on loue un bien, une seule chose apparait dans les comptes : le loyer, directement imputé au résultat. Comme on l’a vu, en dehors du cas particulier de la mutualisation, le loyer est forcément supérieur à l’amortissement augmenté des frais d’entretien et de gestion.

Toute personne censée suivant un budget (c’est à dire une anticipation de résultat) devrait donc préférer des amortissements et des frais connexes à un loyer pour baisser ses charges totales et accroitre sa valeur et sa maîtrise de ses investissements. Sauf que ce n’est pas si simple à communiquer. Je dis bien : à communiquer.

En effet, cumuler amortissements et frais divers, pas toujours simples à détailler ou à justifier, est un exercice difficile. Et, même quand c’est fait, la somme apparait éclatée en plusieurs postes budgétaires difficiles à suivre pour un non-comptable. A l’inverse, un loyer, c’est simple, clair, limpide même.

La vraie solution d’une bonne gestion ne réside donc pas dans le choix d’OpEx au lieu de CapEx mais dans une bonne présentation des budgets et des suivis budgétaires. Pour y parvenir, une des solutions est une « location interne » : un service bailleur (un CSP, centre de service partagé, par exemple) loue quelque chose à un service bénéficiaire. Les surcoûts sont toujours là mais, au moins, ça reste dans l’entreprise… et la maîtrise reste aussi dans l’enceinte de la firme.

La prochaine fois que quelqu’un jouera sa cigale moqueuse devant vous, jouez votre fourmi et tentez de tirer du bénéfice de cet imbécile.

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