Les derniers seront les premiers

Je suis un auteur de fiction, ni un spécialiste de géopolitique, ni un stratège militaire, ni un historien même si l’histoire me passionne. Mais je vis au XXIème siècle en France et je constate donc ce qui arrive autour de moi, y compris la guerre russo-ukrainienne. Cette actualité m’inspire et me donne envie d’imaginer la suite.

Après tout, dans Les derniers seront les premiers, mon recueil de nouvelles uchroniques, j’ai imaginé les conséquences de changements dans l’histoire. Je suis évidemment incapable de changer effectivement l’Histoire. Mais, par le présent petit exercice d’imagination, je vais essayer d’aborder la crise actuelle en tant qu’auteur de fiction. Comment est-ce que je verrai la suite de cette affaire si je l’avais créée dans l’un de mes romans ? Bien entendu, je me devrai d’expliquer mes choix. Peut-être que le récit que je vais faire sera uchronique, peut-être pas.

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Commençons par écarter une hypothèse malheureusement crédible mais qui n’a, a priori, aucun intérêt du point de vue d’un auteur : la fin du monde. La Russie, acculée d’une manière ou d’une autre, lance ses missiles nucléaires, il y a destruction mutuelle assurée conformément au principe de la dissuasion nucléaire et donc plus personne pour lire l’histoire… Quoique… En effet, cette destruction mutuelle assurée toucherait essentiellement l’Occident, la Russie et, potentiellement, la Chine et l’Inde. Elle entraîne l’élimination directe de la grande majorité de l’humanité mais pas partout (qui va lancer un missile nucléaire au milieu de l’Afrique ?). Et elle entraîne aussi un hiver nucléaire. La surpopulation, la surconsommation des ressources naturelles et le réchauffement climatique seraient ainsi réglés d’un coup. Il y aurait donc matière à créer une suite avec un retour à l’Antiquité en termes technologiques et une population essentiellement africaine et sud-américaine.

Mais les récits post-apocalyptiques sont nombreux. Passons à autre chose. Et puis, comme je préfère les histoires qui se finissent bien (du point de vue personnel, donc de mon pays), nous allons plutôt partir sur une autre piste.

Les histoires de fiction comme l’Histoire sont faites de motifs qui se répètent. Les acteurs changent mais la pièce utilise toujours plus ou moins les mêmes ficelles scénaristiques. Essayons donc de construire une histoire à partir des motifs pré-existants.

Bien entendu, la passion de Vladimir Poutine pour la complétude d’un « monde russe » ressemble beaucoup à celle de tyrans nationalistes du passé, obsédés par un mythe national purement fictionnel. J’en parlais il y a peu. Pour la plupart de ces tyrans, la réalité concrète est très souvent leur pire ennemi. Ils vivent dans le fantasme et ne se rendent pas compte que, par exemple, leurs ressources sont limitées.

Justement, revenons sur le plus grand drame vécu par Vladimir Poutine : la fin de l’URSS. Les Etats-Unis ont gagné la guerre froide en poussant l’URSS à consommer l’essentiel de ses ressources à tenter de les rattraper en matière militaire. L’opération « guerre des étoiles » de Ronald Reagan, un pur objet de propagande qui n’a jamais eu le moindre début de commencement d’exécution réelle, est, de ce point de vue, un moment génial. Or construire une armée et l’entretenir coûte toujours très cher. La Russie est déjà ruinée. Mais elle a un capital : son armée.

Rappelons-nous maintenons un autre épisode qui a mis à mal l’URSS : la guerre en Afghanistan. Les Etats-Unis, cette fois, ont joué un jeu dangereux mais que l’on retrouve ici sous une autre forme plus sympathique. Il est admis que les Talibans ont chassé les Soviétiques d’Afghanistan par une guerre asymétrique. Ils ont été armés par les Etats-Unis. Une confrontation directe Etats-Unis / Russie était impossible car elle aurait dérivé nécessairement en conflit général nucléaire et en destruction mutuelle assurée. Donc les Etats-Unis ont délégué leur combat aux Talibans. Mauvaise idée ? Peut-être à long terme mais pas à court terme puisque cela a été efficace. Quels armes les Américains ont-ils fourni aux Talibans ? Des missiles portatifs terre-terre (anti-chars) et terre-air (anti-chasseurs). Ces missiles s’utilisent en mode « shoot and forget » (« tire et oublie »). Qu’est-ce que cela signifie ? Des combattants isolés, très mobiles, détruisent des objets forts coûteux et puissants et disparaissent. Le but est d’assécher les réserves en matériels. Une fois l’adversaire désarmé, ben il suffit de l’achever s’il n’a pas déjà décampé la queue entre les jambes. C’est le plus pur exemple de guerre asymétrique.

En Ukraine, il est impossible, comme en Afghanistan, que l’OTAN entre en confrontation directe avec la Russie. Vladimir Poutine le sait. Avant lui, Adolf Hitler a ainsi pu récupérer la Ruhr, absorber l’Autriche puis le pays des Sudètes… Pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Boum la Pologne. De la même façon, Vladimir Poutine a, sans vraies difficultés, détruit la Géorgie, soumis la Biélorussie… Pourquoi pas l’Ukraine ? Manque de chance, les Ukrainiens résistent. Ils ont d’abord résisté de manière assez classique mais la Blietzkrieg a plutôt bien marché pour détruire les infrastructures militaires ukrainiennes. On passe aujourd’hui dans une phase de guerre asymétrique. Et quels armes sont fournis aux Ukrainiens par l’OTAN ? Des missiles portatifs terre-terre (anti-chars) et terre-air (anti-chasseurs). Ces missiles s’utilisent en mode « shoot and forget » (« tire et oublie »). Oups. L’histoire bégaye…

Certes, la Russie a beaucoup de chars et beaucoup d’avions. Pour l’instant. Et le stock risque de descendre très vite. A cela s’ajoutent des difficultés logistiques : la blietzkrieg suppose une victoire rapide. Une guerre longue n’a pas du tout les mêmes modalités. Or, là où l’URSS pouvait compter sur une économie très intégrée et complète avec des pays-frères, le tout à l’abri de sanctions occidentales, la Russie n’a plus cette chance. Les sanctions occidentales paralysent l’économie russe. Donc les ressources militaires s’épuisent et il est ensuite impossible de reconstituer le stock. La grande armée classique russe risque de, vite, n’être plus qu’un souvenir. Il reste bien sûr l’armement nucléaire. Mais un arsenal nucléaire, là encore, coûte très très cher à entretenir. Et nécessite des ressources considérables. Si l’économie s’effondre…

Si la Russie a de la chance, les militaires vont s’apercevoir de l’impasse. Et il pourrait y avoir en Russie un équivalent de l’Opération Walkyrie qui visait à renverser Hitler. Rappelons que la fin de l’URSS a été hâtée par un tel coup d’Etat. Certes, dans les deux cas, les objectifs assignés par les auteurs de l’opération n’ont pas été atteints et les deux doivent être vus comme des échecs. Par contre, les renversements de Benito Mussolini ou, plus près de nous, de Mouammar Kadhafi, fournissent des exemples réussis. En tant qu’auteur de fiction, je pense qu’une telle fin est logique, surtout que Vladimir Poutine règne par la peur, donc a de très nombreux ennemis tapis dans l’ombre. Et les puissants, ceux que l’on nomme les oligarques, perdent beaucoup d’argent avec les sanctions occidentales.

Dans Star Wars, il y a un méchant très intéressant : Dark Vador. Il commence sa carrière comme gentil avant d’être retourné puis de revenir à la toute fin dans le camp du bien. Ce schéma pourrait s’appliquer au président de la Biélorussie, Alexandre Loukachenko. Celui-ci est un nationaliste mais, pour garder le pouvoir, il a été obligé de se soumettre à Vladimir Poutine. Cela lui pèse. C’est contre sa nature, contre son idéologie. On remarquera que la puissante armée biélorusse s’est abstenue d’intervenir en Ukraine. Si l’armée russe s’affaiblit grâce aux efforts ukrainiens, il pourrait être tenté de se retourner contre son protecteur et de lui donner un coup de poignard dans le dos. D’autres anciennes républiques de l’URSS pourraient être aussi tentées de se débarrasser du nationalisme russe. Pour l’heure, c’est la peur qui les en empêche. Mais si l’armée russe devient faible, le moment de se venger de toutes les humiliations subies pourrait être venu.

Auteur d’histoires de science-fiction, je vais aussi vous raconter une autre fin de l’histoire que je juge peu crédible. Mon argument narratif va être l’impulsion électromagnétique nucléaire comme deus ex machina. Rappelons qu’il y a un problème majeur à toute confrontation directe OTAN/Russie : la destruction mutuelle assurée par voie nucléaire. Comment éviter cela ? Il s’agit d’empêcher l’adversaire de riposter avant sa destruction. Imaginons un acteur qui a peur, un pays européen doté de l’arme nucléaire (en petite quantité) et d’une capacité spatiale. La France par exemple. Imaginons que l’on envoie discrètement des ogives nucléaires dans l’espace (ce qui est interdit par les traités internationaux) à partir de Kourou. Et ces ogives sont ensuite « descendues » sur la Russie et explosent à très haute altitude, détruisant tous les systèmes de communication et l’essentiel de l’appareil industriel russes sans faire de victimes humaines directes. Dans un deuxième temps, les sous-marins lanceurs d’engins entrent en action et détruisent les bases russes : Mourmansk, Vladivostok, Sakhaline… Incapables de réagir, de communiquer, de se coordonner, les armées russes se débandent.

Pour terminer, je voudrais me focaliser sur un personnage extraordinaire qu’aucun auteur de fiction n’aurait osé imaginer, même si, personnellement, j’avais fait déjà très fort dans Star Peace : foutez la paix aux étoiles !. Je veux bien sûr parler de Volodymyr Zelensky. Acteur comique de deuxième zone devenu populaire, il a été élu président de l’Ukraine par défaut. Et le voilà héros national, faisant preuve d’une capacité politique hors du commun. Il n’est pas le seul acteur de deuxième zone à avoir été élu président. Nous avons le précédent, aux Etats-Unis, de Ronald Reagan. Et celui-ci est vu comme un très grand président. Pourquoi ? J’aime imaginer que, pour ces présidents, leur rôle réel est abordé avec une logique d’acteur. Qu’attendent les spectateurs ? Comment, pour servir l’histoire, le rôle doit-il être joué ? Servir l’histoire écrite par un auteur de fiction ou servir l’Histoire sont-ils, finalement, si différents ?

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