Etudier les origines du Christianisme est en soi un sujet polémique, comme étudier n’importe quelle religion sous un prisme scientifique. La science en question peut être la seule histoire ou bien on peut y adjoindre d’autres disciplines (sémantique, sociologie, économie…), y compris des sciences « dures » pour vérifier des faits ou expliquer des miracles (physique, géologie, médecine…). L’anthropologue Dominique Desjeux, lui, a pris le parti d’une double approche historique et anthropologique, voire, parfois, presque économique. Ainsi est né son ouvrage « Le marché des dieux : comment naissent les innovations religieuses. Du judaïsme au christianisme« , paru chez PUF (Presses Universitaires de France).

Ceux qui, comme moi, ont été traumatisés par « Tristes tropiques » de Claude Lévi-Strauss, peuvent avoir une certaine appréhension à lire un ouvrage d’un anthropologue. Or « Le marché des dieux » est tout à fait passionnant et se lit comme un roman. Il s’agit d’une histoire des origines du Christianisme. Bien sûr, elle n’est peut-être pas tout à fait conforme à l’histoire officielle, du moins la présentation faite au grand public par les différentes grandes Eglises.

L’auteur couvre une période qui va en gros du début du deuxième siècle à la chute de l’Empire Romain d’Occident. Il s’intéresse à la diffusion de l’innovation que constitue le monothéisme dans un monde fondamentalement polythéiste. La diffusion de l’innovation est un sujet à la fois anthropologique et économique. On voit, par exemple, que la pseudo-conversion de Constantin (qui, en fait, était probablement incroyant) a certes des buts politiques mais aussi économiques : récupérer l’or des temples pour créer des pièces d’or afin de payer ses armées. A l’inverse, cesser les cultes aux anciens dieux alors que surviennent des catastrophes peut amener une certaine méfiance vis-à-vis de cette innovation : les anciens dieux n’étaient-ils pas plus efficaces que ce dieu unique et étranger ?

Un point particulièrement intéressant est que l’histoire du Christianisme primitif est ici clairement inscrite dans la période de reconstruction du Judaïsme entre le début de la colonisation romaine et la destruction du Temple de Jérusalem. L’auteur rappelle ainsi le rôle fondamental de la diaspora juive dans les débuts du Christianisme et comment, de réforme du Judaïsme, le Christianisme est devenu une religion nouvelle et en rupture avec sa matrice originelle.

A l’inverse, les apports polythéistes (notamment le culte des saints et le culte marial mais aussi la vision trinitaire de Dieu) qui ont permis au Christianisme de s’imposer sont rapidement expédiés en fin d’ouvrage, en quelques phrases. L’auteur arrive même à totalement ignorer la concurrence au monothéisme judéo-chrétien, à savoir le culte de Mithra et de sa mère Ishtar, vierge et reine du Ciel. C’est bien dommage.

Ces derniers points, j’en parle dans ma conférence sur « De la Pax Deorum au Christianisme officiel« .

« Le marché des dieux : comment naissent les innovations religieuses. Du judaïsme au christianisme » de Dominique Desjeux (Editions PUF, 255 pages, 18 euros). (Achat sur le site de PUF)