Pour un passionné d’histoire et de découvertes des civilisations passées comme moi, il y a des petits refrains moralisateurs actuels qui m’échauffent sérieusement. Il est facile d’accuser des gens prompts à la repentance et avec des financements pour se faire pardonner. Il est facile de toujours dire : « c’est la faute des méchants, qu’ils payent ». Trop facile.

Les Européens ont colonisé le monde. C’est vrai. Ils n’ont pas toujours été gentils, c’est vrai aussi. La colonisation ? Oui, c’est mal selon nos normes morales actuelles. L’esclavage à base raciste ? Oui, aussi.

Bon, maintenant, examinons les faits. Oui, les faits, ces choses qui énervent tant les militants obsédés ou les politiciens populistes qui excitent les foules incultes.

Les faits.

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Il existe une loi universelle : toute civilisation, toute nation, cherche l’expansion. Cela fait partie de ses caractéristiques fondamentales. Les Européens ont colonisés, oui, c’est vrai. Ils ont soumis d’autres peuples, c’est vrai aussi. Ils ont pillé, tué, etc., aucun doute, c’est vrai aussi. Mais c’est vrai pour toutes les civilisations. Certaines ont simplement mieux réussi que d’autres.

Les Européens ont bénéficié d’une chance incroyable. Ils ont obtenu à un moment donné de leur histoire une avance technologique alors qu’ils étaient en une relative surpopulation, du moins une forte croissance de leur population. Donc, ils avaient simultanément beaucoup de candidats à l’émigration et des moyens techniques d’aller conquérir des terres. Donc, ils ont conquis.

D’autres n’ont pas eu de chance. Descendus de la région du Rio Grande, les Aztèques avaient soumis les Mayas, dans l’actuel sud du Mexique. Leur empire était encore récent. Et voilà que débarquent des gens qui sont d’abord pris pour des messagers des dieux, qui ont une vraie avance technologique (le cheval, la roue, le métal…). Et ces gens veulent de l’or. Et, peu nombreux, ils s’appuient sur tous les peuples colonisés par les Aztèques pour renverser l’empire de ceux-ci. Les colonisateurs aztèques se sont faits coloniser. Mais le sort de l’empire inca est pire encore : celui-ci n’était pas encore fermement établi, il était même en pleine expansion à grands coups de massacres. Même méthode : les peuples conquis ont été heureux de s’appuyer sur des étrangers pour détruire les Incas.

Dans les Amériques comme en Australie, des peuples isolés de la grande masse de l’humanité accusaient un très fort retard technologique. Pour eux, toute résistance était inutile.

L’Inde a colonisé et été colonisée plusieurs fois (Dravidiens soumis par les Aryens, puis par les Mongols, puis par les Anglais…). La Chine a colonisé et été colonisée, de très nombreuses fois aussi (Mongols, Mandchous…). Dans ces deux cas, il s’agissait de conquête en continuité territoriale : il y avait de quoi faire, pas la peine de se lancer dans des expéditions de conquêtes lointaines, très consommatrices en ressources, très compliquées sur le plan logistique. Rohingyas, Ouïghours et Tibétains n’ont pas le loisir de se plaindre des méchants Européens. Puisque l’on parle des Mongols, rappelons que ceux-ci ont colonisé l’Europe : on peut remonter aux expéditions des Huns d’Attila mais c’est surtout l’établissement de la Horde d’Or dont il faut parler, en Europe de l’Est.

En Afrique, l’empire du Mali ou celui d’Ethiopie, pour prendre deux exemples bien connus, ont conquis de larges territoires, soumettant de nombreux autres peuples. Les Zoulous sont partis en gros du Soudan pour s’établir en Afrique du Sud, n’hésitant pas à soumettre Bantous ou Bushmens. Les Marocains ont abattu Tombouctou et conquéraient tranquillement l’Afrique de l’Ouest quand deux puissances européennes ont arrêté son expansion, la France bien sûr, et, en moindre mesure, l’Espagne.

On m’a parlé des Inuits et des Tahitiens. Des gens pacifiques ? Pas du tout. Les Inuits sont restés coincés dans une zone climatique correspondant à un mode de vie ultra-adapté mais ils l’ont largement conquise. Les Polynésiens ont conquis les îles du Pacifique. Les guerres étaient nombreuses et la colonisation a pu se faire précisément à cause des guerres entre tribus.

Oui mais les méchants Européens ont commis l’abominable crime de l’esclavage transatlantique. C’est vrai. Sauf que l’esclavage était surtout le fait des potentats africains. Certes, il existait une demande marchande européenne mais le sale boulot était fait localement, par des autochtones. Et, aujourd’hui encore, alors que l’Europe a partout aboli l’esclavage… celui-ci perdure en de nombreux endroits de l’Afrique. Et, bizarrement, on ne parle que très rarement de la traite arabe, pourtant plus importante. Et les « travailleurs étrangers » travaillant à l’heure actuelle dans la péninsule arabique ne sont évidemment pas du tout des esclaves.

Le mal est partout. Conquérir et soumettre est une tendance naturelle de toute nation, de toute civilisation. Simplement, il y a ceux qui réussissent, qui en ont les moyens (en général à un moment donné de leur histoire), et ceux qui échouent. Ainsi est la dure loi de l’histoire.

Bien sûr, cela ne veut pas dire que l’évolution humaine ne doit pas amener à cesser ces petits jeux mortels. L’intérêt supérieur de l’humanité est que nous allions vers plus de paix, plus de relations équilibrées (on pourrait même dire plus de justice). Ainsi progresse le droit international et la paix mondiale. Mais il n’y aura nul progrès si on cherche des boucs émissaires. Et les pays anciennement colonisés ne gagneront rien à se dédouaner de leurs politiques inefficaces ou de leurs corruptions sur d’anciens colonisateurs. Plus d’un demi-siècle après une indépendance, il faut cesser de voir dans l’ancienne colonisation la source de tous les maux. Même si c’est évidemment plus facile, plus vendeur électoralement, plus populiste.

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