La tombe

Nous sommes des dieuxNouvelle issue du recueil Nous sommes des dieux.

La dernière pierre venait d’être posée. On la glissait de force dans son emplacement. On entendait le mortier excédentaire tomber sous forme de grosses gouttes le long du mur. Il n’y avait plus de lumière, plus la moindre.
Il était impossible, désormais, d’admirer le sarcophage doré à l’or fin qui brillait, quelques heures plus tôt, de mille feux sous le soleil de la vallée. Il contenait d’autres sarcophages, empilés les uns dans les autres. Au centre de toutes ces protections demeurait un corps embaumé. Celui qui, seul, gardait de l’importance ici. L’être qui avait usé de ce corps continuait d’exister pour l’éternité. Il avait besoin pour l’aider dans son voyage des multiples objets disposés autour de lui. Il avait aussi besoin de ses collaborateurs les plus proches et de leur amour, de leur dévotion. En lire plus La tombe

La fin du monde est remise

Nous sommes des dieux

Nouvelle issue du recueil Nous sommes des dieux.

Lucifer portait toujours une torche allumée pour visiter son domaine. Son nom, du moins l’un de ses noms, ne signifiait-il pas, en effet, « porteur de lumière » ? Il préférait celui-là à Belzébuth, le seigneur des mouches. Devoir régulièrement utiliser sa queue pour chasser ces compagnes énervantes l’insupportait. Quant à Satan, il lui rappelait trop les cultes satanistes que quelques médiocres imbéciles lui rendaient. Son Ignominie, Seigneur des Tréfonds, vomissait ces crétins qui ne comprenaient rien. Il était malade à l’idée même d’avoir un jour à les dévorer dans son domaine infernal.

D’une manière générale, Lucifer aimait malgré tout  l’imagination de ceux qui cherchaient à le nommer sans donner un « vrai nom » qui n’était pas plus vrai que les autres. Comme un sémiologue italien l’avait remarqué, il n’est pas nécessaire de connaître le nom de la rose pour savoir qu’elle est une rose. C’était autant vrai pour Lucifer-Satan-Belzébuth-Etc. Que pour les roses, même si le Diable ne sentait pas vraiment la rose.
Bref, Lucifer portait donc une torche allumée et visitait son domaine de fonds en combles. Là encore, il s’agit d’une expression peu appropriée car l’Enfer est, par définition, en totalité dans les Tréfonds, même si ce terme est assez peu géographique.

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Sans issue

Carcer et autres libérationsCette nouvelle complète le recueil « Carcer et autres libérations » dont le thème général est l’enfermement.

Un destin ordinaire

Carole 751312-1 marchait en rond avec une profonde excitation entre les parois métalliques de sa cellule carrée. Trois mètres de côtés, c’est certes un peu moins de deux mètres de diamètre pour tourner, à cause de la console, du coin toilette et du lit. Mais c’est suffisant pour passer ses nerfs. Depuis qu’elle avait quitté sa mère, Carole 713589-1, et cessé d’être Carole 713589-2 pour obtenir sa propre cellule et donc un numéro se terminant par 1, elle savait que son destin la mènerait un jour ou l’autre à faire le nécessaire pour qu’elle accueille dans sa cellule des enfants dont les numéros seraient « -2 » puis « -3 ». Si l’un de ses enfants est une fille, celle-ci s’appellerait Carole comme sa mère, sinon ce serait Charles. Aucun mystère. Tout est prévu.
Elle avait reçu le matin même, sur sa console, le message qu’elle attendait depuis longtemps. Au point qu’elle avait désormais du mal à se concentrer sur son travail de pilotage de l’arrosage et du drainage dans des serres d’agriculture hydroponique. Il y avait eu plusieurs alertes. La Surveillance Générale avait donc opté pour la répartition exceptionnelle de ses tâches entre d’autres détenues dès le midi, sans attendre sa mise à disposition.
Elle jetait sans cesse des regards impatients à la porte d’acier, la seule issue de sa cellule, tout en tournant. La lumière centrale, au plafond, animait une ombre très agitée sur les parois. En lire plus Sans issue

La cave

Carcer et autres libérationsCette nouvelle complète le recueil « Carcer et autres libérations » dont le thème général est l’enfermement.

17 août 2007

Carole avait les mains dans les poches de son manteau. Elle attendait, le regard dans le vide, sur un quai de la gare. Le premier train de la journée pour la capitale était attendu avec quelques minutes de retard. Enfin, les haut-parleurs lancèrent l’annonce de l’entrée en gare de l’express.
Quant le train fut immobilisé, l’homme qui était à côté de Carole lui donna son billet pour la capitale, le plaçant dans une poche intérieure du manteau, et lui souffla simplement à l’oreille : « vas-y. Assieds toi à l’une des places que tu vois de libre, ici, dans ce wagon. »

Carole monta dans le train en utilisant la porte juste en face d’elle. Elle marcha sans vraiment regarder où elle allait. Elle s’assit sagement sur la première banquette, à gauche de la porte : les deux places étaient libres. Son regard n’allait nulle part, simplement vers un endroit du côté de la banquette devant elle. L’homme était resté sur le quai jusqu’à la fermeture des portes du train. Quand le dernier wagon eut quitté la gare, il sourit, retira ses gants et rejoignit sa camionnette stationnée à quelques dizaines de mètres de là puis il démarra.
Dans cette petite gare de province, peu de gens montaient ou descendaient du train mais cela ne justifiait pas que quiconque examine de trop près cette jeune femme qui s’était simplement installée dans un wagon ordinaire comme n’importe quel passager, ou bien son accompagnateur. En lire plus La cave

Faute d’amour

Désirs et destinsDésirs et destins rassemble 21 nouvelles appartenant à tous les genres (tendres, cruelles, drôles, fantastiques…) sur l’amour et le désir.

L’appartement était un petit studio meublé dans une rue calme, à l’écart de la grande avenue où il l’avait rencontrée. Elle entra à son signe, quand il eut ouvert la porte.
Une kitchenette, une salle d’eau, des toilettes séparées, une fenêtre donnant sur une grande cour claire… elle fit le tour du regard. Dans un coin, un grand lit portait un drap et une couette.
Dans un sac de supermarché qu’il avait avec lui, il prit un gel douche et lui donna.
« Il y a une serviette dans la salle d’eau » ajouta-t-il avec un sourire. En lire plus Faute d’amour

La lumière qui s’éteint

Désirs et destinsDésirs et destins rassemble 21 nouvelles appartenant à tous les genres (tendres, cruelles, drôles, fantastiques…) sur l’amour et le désir.

Elle aimait, jadis, se lever de bonne heure, ouvrir la fenêtre et les volets, se remplir les poumons des parfums marins en écartant triomphalement les bras et puis enfin revenir vers le lit, le sortir du sommeil et faire l’amour alors qu’il était encore dans les brumes du sommeil, pestant d’avoir choisi une femme matinale. Ce soir, au loin, le soleil n’allait pas tarder à se coucher derrière la petite colline empêchant de voir la mer. Des maisons plus chères se trouvaient de l’autre côté du monticule, avec une belle vue, pour ceux qui avaient réussi leurs vies. En lire plus La lumière qui s’éteint

Passion professionnelle

Désirs et destinsDésirs et destins rassemble 21 nouvelles appartenant à tous les genres (tendres, cruelles, drôles, fantastiques…) sur l’amour et le désir.

Elle l’avait aperçu, une fois, au détour d’un écran. Cela avait suffit. Elle ne savait rien de lui mais cela n’avait pas duré. Elle ne tarda pas, en effet, à trouver son nom, son adresse et son matricule national grâce à la reconnaissance faciale et à l’identification palmaire au passage d’un portillon de métro. Dès lors, suivre ses déplacements était devenu un jeu d’enfant. Elle pouvait l’admirer sous tous les angles permis par la vidéosurveillance du territoire.
Edwige Safari était une inspectrice de surveillance très bien notée par ses supérieurs. Elle prenait son rôle à coeur. En deux ans, deux voleurs à la tire avaient été arrêtés grâce à elle. Leur exécution publique avait réjoui le directeur des programmes télévisés : deux très belles audiences.
L’homme qu’elle avait remarqué ne se doutait de rien, bien entendu. Mais Edwige le regardait souvent. Sa démarche était souple. Il semblait musclé. De fait, il fréquentait un club de sport près de son domicile, plusieurs soirs par semaine. Mais son visage respirait la douceur. Elle rêvait de le rencontrer.
Dès qu’elle songeait à le voir, elle se demandait comment justifier une rencontre, ce qu’elle pourrait lui dire. Quels mots prononcer ? Quelle ode lui chanter ? D’autres femmes, jolies du reste, se pendaient à son cou. L’une, notamment, le rejoignait souvent dans un petit hôtel près de son travail. Ses longs cheveux blonds ondulaient dans la lumière crue dispensée dans les couloirs souterrains. Elle aussi semblait heureuse. On le serait à moins : elle fréquentait un bien bel homme qui devait lui faire l’amour comme un dieu plusieurs fois par semaine. En lire plus Passion professionnelle

Une dernière semaine auprès de la mer

Carcer et autres libérationsCette nouvelle complète le recueil Carcer et autres libérations dont le thème général est l’enfermement. Un roman est dérivé de cette nouvelle, sous le même titre, paru en mai 2018.

Les mouettes

Carole respira un grand coup. L’air iodé chargé de quelques embruns lui gonfla les poumons. Elle regarda en bas des falaises et, par réflexe, s’éloigna de quelques pas. Réalisant à quel point ce réflexe était, dans sa situation, imbécile, elle sourit.
Elle ne riait plus depuis longtemps, tout au plus souriait-elle. Alors, elle sourit.

Sa destination n’était plus très loin, un peu à l’écart du village où elle avait passé la nuit dernière, en débarquant de l’autocar. Elle avait dormi tard, épuisée, même si les mouettes criaient depuis le petit matin. S’endormir avait été difficile, il est vrai.
Venir jusqu’ici était long et compliqué, avec de nombreux changements dans les transports en commun, même si ce n’était pas particulièrement coûteux. Il était interdit de venir en véhicule personnel dans l’établissement où elle se rendait.
La difficulté pour venir était voulue. L’éloignement de toute habitation une exigence des populations environnantes. C’était partout pareil là où l’on installait ce genre d’établissements. En lire plus Une dernière semaine auprès de la mer

Nostalgie de la volupté

Le temps perdu ne l'est pas pour tout le mondeCette nouvelle fait partie du recueil Le temps perdu ne l’est pas pour tout le monde. Le fondement du recueil est que le voyage dans le temps est désormais possible et qu’il existe donc des touristes temporels. Les chrononautes utilisent des chronokines pour repartir d’où ils viennent. Les chronokines ressemblent à des montres.

Chapitre 1

Il avait encore un peu de mal à s’y faire. Mais l’odeur de la rigole d’eau usée, qui coupait la rue au milieu, ne le dérangeait presque plus. Cet égout à ciel ouvert était l’élément le plus répugnant de cette époque par ailleurs absolument répugnante. Du moins c’était son avis. Le plus désagréable restait cependant de devoir marcher vers le centre de la rue lorsqu’il fallait laisser passer quelqu’un se tenant « sur le haut du pavé ». Il demeurait parfois un peu sujet à des accès brusques de nostalgie d’un temps où cette expression n’était que figurée.
L’hygiène était partout lamentable. Pas une bouche ne semblait pouvoir exister sans qu’il y manqua au moins deux ou trois dents et qu’une haleine fétide ne s’en échappât à chaque fois qu’elle s’ouvrait. Les odeurs des corps, de même, le répugnaient.

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La volonté des dieux

Les cent morts du chatonLes 100 morts du chaton rassemble des nouvelles débutant toutes par les mêmes mots empruntés à Molière.

« Le petit chat est mort » annonça Sashetsoup, non sans tremblement, pour ne pas dire bégaiement.
Vapalatep la regarda fixement, les yeux grands ouverts d’étonnement, bouche bée, comme frappé d’une soudaine paralysie. Mais il ne dit rien. Plus exactement, il n’était pas en mesure de parler tant il fut tourmenté par cette nouvelle. Et il n’aurait, de toutes les façons, pas su quoi dire.
La faible luminosité régnant dans l’appartement privé du Grand Prêtre, juste éclairé par une torche fixée au mur au dessus du parchemin qu’il était en train de lire à voix haute en le psalmodiant, donnait normalement une aura de mystère à l’endroit. Mais cela n’impressionnait plus la prophétesse depuis bien longtemps. En lire plus La volonté des dieux