Coup de gueule

La crise économique de 2008 continue régulièrement d’attiser les théories les plus folles de la part de complotistes, d’eurosceptiques et autres personnes très rigoureuses dans leurs raisonnements. Comme cela a le don de m’énerver prodigieusement, je voudrais rappeler ici de quoi il s’agit et ce qui s’est réellement passé.

Donc, non, les Illuminatis, les Reptiliens vivant sous la Terre Plate, les Francs-Maçons Juifs et Emmanuel Macron n’y sont pour rien. Emmanuel Macron venait d’entrer dans une banque d’affaires, ce qui témoigne d’un sens du timing pour le moins douteux alors qu’il était Inspecteur des Finances, corps le plus prestigieux de la Fonction Publique Française.

Le problème, c’est que pour comprendre cette crise, ses tenants et aboutissants, il faut d’abord comprendre les éléments de contexte. Comme c’est assez complexe, cette crise aux origines très techniques est nimbée de mystères pour beaucoup de gens. C’est donc un terreau fertile à tous les complotismes. Commençons donc par le début. Je suis désolé mais, pour les uns, je vais être trop long et, pour les autres, je vais trop simplifier.

D’abord, il y a un élément essentiel à comprendre : les banques créent de la masse monétaire, raison pour laquelle elles sont, dans la plupart des pays, très régulées. En effet, quand vous déposez de l’argent, mettons une somme X, en banque, la banque va en prêter une certaine proportion, mettons Y. Cette somme Y va se trouver créditée sur des comptes. Donc, à cet instant, si on cumule les comptes des différents clients, on a déjà X+Y, plus seulement X. Y fait partie de la masse monétaire créée par la banque. Bien sûr, ceux qui ont Y vont pouvoir déposer leurs avoirs qui, à leur tour vont être prêtés, etc. Les banques sont obligées par diverses réglementations à limiter strictement ce phénomène. Elles ne peuvent donc prêter qu’un certain montant en regard des fonds dont elles disposent en propre. Je passe les détails mais, en Europe, vous avez peut-être déjà entendu parler des règles dites de Bâle (Accords de Bâle I, II ou III). C’est le coeur de leur sujet.

Si, en Europe, les ménages sont relativement sages en matière d’endettement, ce n’est pas du tout le cas aux Etats-Unis. La différence tient pour beaucoup à une différence de mentalité, certes, mais aussi à de très grandes différences de réglementations. En Europe, les Etats sont des paniers percés surendettés mais les ménages sont dans une situation globalement saine. Aux Etats-Unis, l’Etat Fédéral, les Etats fédérés, les entreprises et les ménages sont des paniers percés qui ont un recours systématique et excessif à l’emprunt. Quand on dit emprunt, on dit bien sûr emprunt à des banques. Rappelons que les Etats-Unis constituent la première économie mondiale (même si la Chine est probablement devant aujourd’hui quand on cherche à dé-truquer les chiffres minorés par les Chinois). Toutes les banques du monde, et notamment les banques européennes, sont présentes aux Etats-Unis et jouent le jeu local.

Aux Etats-Unis toujours, les ménages empruntent donc pour tout : les études, les logements, la voiture, les courses du quotidien, etc. Il existe une forme d’emprunt que l’on a traduit en Français par « hypothèque rechargeable ». En gros : vous avez un logement qui vaut 100 000 dollars. Vous pouvez emprunter 100 000 dollars en le gageant. Mais le logement voit sa valeur monter, mettons 150 000 dollars. Grâce à l’hypothèque rechargeable, vous pouvez emprunter 50 000 dollars de plus. Un président de la République a voulu introduire ce système en France en 2008… Bizarrement, on n’en a plus entendu parler très vite. En effet, si votre bien perd de la valeur, par exemple repasse à 100 000 dollars, que se passe-t-il ? Eh bien, vous devez immédiatement rembourser les 50 000 dollars. Et si vous ne les avez pas ? Pas de problème ! La banque saisit votre bien (c’est le principe de l’hypothèque) et le vend. Mais comme l’immobilier ne peut que monter, que c’est une « valeur refuge », etc. aucun problème ne peut jamais arriver, bien évidemment.

Avant 2008, certains financiers se sont dit que ce système sentait tout de même très mauvais. Oui mais ils possédaient ces fameux prêts hypothécaires. Quand vous avez une patate chaude, qu’en faites-vous ? Vous la passez au voisin. En finances, on appelle ça « titriser » : créer des titres négociables à partir de créances. Mais, bon, c’est pas très ragoûtant ce truc. Pas grave. On va créer des produits financiers dérivés : on va associer ces « titres pourris » avec des choses plus sympathiques, faire des packages, créer des options, etc. Bref, une mère poule n’y retrouverait plus ses petits. Mais la patate chaude circule. Elle circule dans les marchés financiers, autrement dit entre banques.

Jusqu’au moment où certains ne veulent plus se saisir de la patate chaude. Aïe. Mais, pourtant, elle est belle ma patate chaude, non ?

C’est d’autant plus ennuyeux que le marché de l’immobilier se retourne. Cela implique que les banques se retrouvent avec une quantité monstrueuse de biens immobiliers sur les bras et elles tentent de les vendre. Une quantité monstrueuse de biens immobiliers arrive donc sur le marché, accélérant sa chute car la demande, elle, bouge peu. Donc un nombre croissant de ménages se retrouve à devoir rembourser en catastrophe une part croissante de leur « hypothèque rechargeable ». Donc il y a de plus en plus de faillites, de plus en plus de saisies, de plus en plus de ventes immobilières, une chute des prix qui s’accélère… Le cercle vicieux est enclenché.

Et les banques ? Certaines, titulaires des prêts hypothécaires, commencent à faire faillite. C’est ennuyeux. Mais des banques qui font faillite, ça arrive. Le plus ennuyeux, ce sont les créances titrisées. Elles se promènent partout. Mais leur valeur est… roulement de tambour… inconnue ! Pas zéro (ça serait gênant mais gérable), inconnue ! Donc, comment vous faites pour calculer les ratios dont on parlait au début sur les créances par rapport aux fonds propres ? Vous avez une inconnue au milieu. Les banques sont bloquées. Elles ignorent si elles doivent être en faillite ou non. L’Etat ignore si elles sont en faillite ou non. Tout est bloqué.

Oui mais toutes les entreprises ont recours à des emprunts, des facilités de caisse… Tous les ménages ont de l’argent sur des comptes et ont parfois des emprunts… Leurs banques sont-elles en faillite ? Mystère. Et « mystère », c’est mille fois pire que « oui ».

Comme l’économie américaine était centrale (elle l’est encore d’ailleurs mais moins), la propagation est rapide à travers le monde. Comme en 1929, un incident qui aurait dû être limité aux Etats-Unis a des répercutions mondiales.

Les Etats ont dû intervenir massivement. Même les Etats-Unis ont dû nationaliser des banques (celles spécialisées dans les crédits hypothécaires) et « faire un exemple » en provoquant la faillite de Lehman Brothers (en refusant de la sauver pour être exact). Cette crise a montré des faiblesses dans la régulation bancaire et des évolutions ont eu lieu. Cependant, soyez rassurés : les crises payées avec de l’argent public s’oublient vite.

En France, à la même époque, a eu lieu un autre incident qui a accru la crise : l’affaire Kerviel. Il n’y a strictement aucun lien entre la crise de 2008 et l’affaire Kerviel sauf une quasi-simultanéité due à un parfait hasard qui a failli provoquer la faillite de la Société Générale. Depuis, la France puis l’Europe se sont dotées d’une règlementation particulière pour les banques dites « systémiques », c’est à dire dont la santé a un impact direct sur l’ensemble de l’économie. Aux Etats-Unis, « In god we trust »…