La crise sanitaire liée au Covid-19 a secoué singulièrement un certain nombre de commerces qui, déjà, allaient mal depuis des années. Parmi ceux-là, deux râlent parce que, vous comprenez, c’est de la Culture et rien n’est plus important que la Culture (oui, avec un « C » majuscule). Je veux bien sûr parler des libraires et des cinémas. Vous vous doutez bien que, si je pose la question, en titre, de savoir s’il faut les sauver, la réponse ne va pas forcément aller dans le sens des râleurs.

Ce blog est là pour vous montrer que j’aime beaucoup les films. Je suis abonné à Amazon Prime et Disney+, services que je regarde avec un home-cinema. Auparavant, j’allais souvent au cinéma à une époque où j’avais un abonnement à moins de vingt euros par mois. Et puis la programmation étant devenue de plus en plus déplorable, j’ai cessé d’y aller régulièrement et j’ai arrêté mon abonnement. Depuis, le tarif exorbitant me retient d’y aller le plus souvent.

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Par ailleurs, je suis auteur et mes ouvrages sont disponibles notamment sur Amazon. Je crois que je n’ai vendu que trois livres, de toute ma vie, via un libraire. Et, en tant que lecteur, je recours de plus en plus souvent à Amazon tandis que, auparavant, j’allais le plus souvent à la FNAC. Je crois que je ne suis plus rentré dans une librairie indépendante depuis des années.

Je ne suis évidemment pas une exception. Regardons les choses en face, au travers du seul prisme qui compte : celui du consommateur, c’est à dire du client qui achète. Evacuons aussi de suite le sempiternel argument du manque d’éthique d’acteurs tels qu’Amazon : ces acteurs respectent les lois sociales et fiscales des pays d’implantation. Les distributeurs en tous genres ne sont guère des modèles sociaux, ne l’oublions pas. Donc, revenons au client, à sa vision.

Pour un prix raisonnable, on peut acquérir un home-cinéma qui donnera les mêmes sensations visuelles et sonores qu’un cinéma ordinaire mais avec, en plus, le confort de son canapé, à son domicile, et une large programmation sans horaires de séances à respecter. Même sur le seul critère du coût, une famille s’y retrouvera rapidement. Tous n’ont pas la possibilité d’acheter un home-cinéma, c’est vrai. Mais, dans ce cas, il est probable que le coût d’une séance de cinéma sera également rédhibitoire. Demain, la réalité virtuelle va se généraliser aussi pour les films et le port du casque se fera plus facilement à domicile.

Le géant du divertissement Disney l’a bien compris : Mulan en live-action comme son dessin animé annuel de Noël, Soul, sortent uniquement sur son service Disney+. Aux Etats-Unis, les sorties simultanées en ligne et en salle font râler les salles mais les Majors ne leur donnent pas le choix. En France, il y a la sacro-sainte « chronologie des médias » qui vise à donner la primeur aux salles de cinéma, alimentant les frustrations du public et, ainsi, le piratage des oeuvres.

Côté livres, le livre électronique ne s’est pas totalement généralisé car le papier offre tout de même un bon confort. Les livres électroniques se diffusent essentiellement via de grandes plates-formes comme Amazon ou la FNAC. Même pour ces livres papier, ces grandes plates-formes offrent ce qu’aucun libraire de quartier ne pourra jamais offrir : la largeur d’offre. En France, les prix sont fixes quelque soit le canal : c’est la fameuse Loi Lang du prix unique du livre. Pour un éditeur ou un auteur auto-édité, cette loi est un enfer : elle oblige à prévoir un prix qui conviendra à tous les canaux, nécessairement en alignant sur le plus coûteux, c’est à dire la distribution indirecte où le libraire prend une marge d’environ 30%. Donc, en vente directe, le prix du livre est 30% trop cher, ce qui limite les ventes. J’ai résolu le problème en proposant, via The Book Edition, des éditions de poche en vente directe et des éditions en grand format avec un prix prévoyant les fameux 30% de marge. Avouez que c’est inutilement casse-pied.

Pour moi, les cinémas sont plus ou moins voués à disparaître. Leur existence n’a simplement plus aucun sens. Ils n’ont rien à offrir de particulier. Sauf à revenir, peut-être, à leurs origines. Rappelons que le cinéma était au départ une attraction foraine. Les films étaient tellement méprisés que les oeuvres de Georges Méliès, par exemple, ont été détruites pour que la matière première des pellicules soit recyclée. Seules quelques unes, égarées et retrouvées des années plus tard, ont survécu. Et puis, lorsque le cinéma est monté en gamme, les salles sont devenues des lieux de sorties, de spectacles au sens plein du mot. En réduisant leur service à la projection d’un film, les cinémas ont préparé leur tombe. Et la vente de confiseries n’a offert qu’un sursis aux plus malins. Faute d’offrir un service à valeur ajoutée forte par rapport au home-cinéma et aux services de distribution en ligne, les cinémas disparaîtront.

Pour la même raison, les librairies classiques sont condamnées. Rappelons que, au départ, les librairies étaient juste la partie commerciale d’un imprimeur qui était aussi éditeur. Les libraires qui achètent des livres à des éditeurs en vue de les revendre sont récents. Ces simples commerçants ont vu leur modèle s’effondrer face aux grandes surfaces spécialisées et, aujourd’hui, face au e-commerce.

Il y aurait eu cependant au moins deux échappatoires mais les libraires ne les ont pas saisies.

La première est d’offrir aux clients une vraie valeur ajoutée par rapport à une plate-forme en ligne, par exemple du conseil. Mais les moteurs de recommandation animés par une intelligence artificielle efficace laissent peu de place aux conseils d’un libraire de quartier. Dans cette optique, cependant, certaines librairies sont devenues des lieux de sorties, ajoutant un café et un salon de lecture, un endroit où l’on discute de livres, où on les découvre. Le modèle a ses limites mais pourquoi pas ?

La deuxième échappatoire, c’est celle qui a été proposée par la start-up Orséry. Je l’avais découverte en 2017 au salon Livre Paris. Malheureusement, deux ans plus tard, j’ai appris sa faillite. Quel était le concept ? Simplement d’imprimer localement et immédiatement un ouvrage commandé par un client en impression à la demande. Du coup, le stock devenait virtuellement infini : chaque client n’avait qu’à passer sa commande et était fourni deux heures plus tard dans un magasin de proximité. Je pense que le modèle économique n’était pas au point et, surtout, qu’il y a eu une forte réticence des éditeurs à livrer leur catalogue mais je n’ai pas les détails de cette triste histoire.

Vous aurez remarqué que j’ai systématiquement parlé de clients, de consommateurs. C’est ce qui est fait partout dans le monde. Partout sauf en France. Parce qu’en France, Monsieur, on parle de Culture (avec un C majuscule). Cela permet à des incapables subventionnés de continuer de quérir des subventions ou des protections légales de leur petit business habituel, sans jamais se préoccuper du marché, des clients ou des progrès techniques. Bizarrement, la culture française est en recul constant au niveau mondial devant, notamment, la culture américaine.

Tout ce que je viens de dire sur les libraires est d’ailleurs aussi valable pour les distributeurs de disques indépendants qui ont, presque tous, déjà disparu.

Pour terminer, j’ai un conseil à donner au gouvernement français : supprimer le Ministère de la Culture. Il faudrait d’un côté un Ministère de l’Enseignement, de la Recherche et de la Culture en charge des écoles, des musées, des universités, etc. Et, de l’autre, un secrétariat d’état dépendant du ministère de l’économie en charge des industries créatives, de la communication et du divertissement. La culture est ce qui est se partage dans un groupe (national en l’occurrence), donc qui est dans le domaine public. Quand vous vendez quelque chose, ce n’est pas de la Culture (avec un grand C) mais bien de la vente de produits, avec l’obligation de s’intéresser un peu au marché, aux technologies et, surtout, aux clients. De cette manière, les pleurnichards ne pourraient plus quérir de subventions et soit s’adapteraient en proposant une offre à valeur ajoutée soit disparaîtraient. Bon débarras dans ce dernier cas.

Bonne année 2021 !

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